Réforme des rythmes scolaires : pourquoi le bât blesse-t-il?
Créé par torderes le 25 jan 2013 à 0:11 | Dans : A retenir, Affaires sociales, Ecole, Equipe municipale et commissions, Infos pratiques
En soi, la réforme des rythmes scolaires prévue par le gouvernement et organisée par Vincent Peillon, ministre de l’Education Nationale, aurait pu être formidable si elle avait été mieux préparée et surtout si elle avait été soumise à concertation. La plupart des chronobiologistes et l’Académie de Médecine s’accordent à dire que le rythme auquel sont actuellement soumis les écoliers ne leur permet pas un bon apprentissage. Les enfants français n’ont que 144 jours d’école contre 187 jours en moyenne dans le reste de l’OCDE, mais beaucoup plus d’heures de cours par semaine (24h, contre 15 à 20 en Allemagne, 19 en Finlande, et 20 à 25 en Angleterre). Revenir à 4,5 jours de classe au lieu de 4 serait une bonne chose pour limiter les journées trop chargées et permettre de revoir les emplois du temps en profondeur, mais cela ne doit pas se faire dans n’importe quelles conditions et surtout pas en s’exonérant d’une réflexion plus large, notamment sur les dispositifs d’apprentissage, les effectifs, les différences sociales ou territoriales d’une école à l’autre, etc. Réduire la réforme aux simples rythmes scolaires, c’est accepter l’idée que l’école propose des objectifs inégaux, plus ou moins rapides à atteindre en fonction des acquisitions extrascolaires des enfants. Par ailleurs, sans esquiver l’évidence que la refondation nécessaire de notre système scolaire dépasse le seul aspect de ses rythmes, les élus municipaux rappellent que l’intérêt de l’élève suppose un effort partagé par tous les acteurs, mais à proportion de leurs responsabilités respectives, à commencer par l’État. Ainsi tiennent-ils à rappeler qu’au travers des fonctionnaires de l’Éducation Nationale, l’enseignement est une compétence pleine et entière de l’État qui ne saurait s’en décharger sur les communes et, par ricochet, sur les parents.
L’Association des maires de France (AMF) a obtenu le vendredi 11 janvier le report de l’examen du décret par la commission consultative d’évaluation des normes, en raison de l’absence d’évaluation du coût de la mise en œuvre de cette réforme pour les communes.
Les informations qui filtrent jusqu’à présent sur la future loi sont très floues et distribuées au compte-gouttes. Il semble que les communes auront à leur charge 3h, tandis que l’Education Nationale n’en aurait qu’une. Si les transports et leur coût, ainsi que les lieux d’accueil, posent question, la planification du “temps pédagogique complémentaire” (activités culturelles ou sportives, aide aux devoirs ou aux élèves en difficulté), dont l’organisation sera en large partie à la charge de la commune, sans aide financière pérenne, fait trembler les élus… Car si l’Etat ne paye pas, qui va payer ?
Ce que dit aujourd’hui le projet de décret :
1) Organisation de la semaine :
- La semaine scolaire continuera à comporter 24h d’enseignement pour tous les élèves, réparties sur neuf demi journées, dont le mercredi matin (ou le samedi par dérogation, ce que l’Inspection Académique des Pyrénées-Orientales se refuse à envisager),
- Les heures d’enseignement quotidiennes seront organisées à raison de 5h30 d’enseignement maximum par jour, dont 3h30 maximum pour une demi-journée. Le temps scolaire ne sera donc écourté que de 30 minutes par jour.
- La pause méridienne ne pourra pas être inférieure à 1h30.
2) Activités pédagogiques complémentaires :
- L’article 3 du projet de décret prévoit que les élèves « pourront » bénéficier chaque semaine d’activités pédagogiques complémentaires (APC) qui devront être organisées en groupes d’élèves restreints et suivant un projet éducatif territorial inscrit dans le projet d’école.
- Ces APC seraient de 36h par an (soit une heure par semaine) et remplaceraient le dispositif actuel d’aide personnalisée, qui était de 2h par semaine (60 heures annuelles).
- Au-delà de l’heure prise en charge par l’Education Nationale, les communes « pourront » compléter le dispositif en faisant appel à des professeurs « volontaires » (on n’en sait pas plus sur le sens à donner au verbe « pouvoir » ni sur la notion de « volontaires »… Seront-ils bénévoles ou seront-ils rémunérés par les communes?)
- Le projet de décret ne distingue pas clairement pour le moment ce qui relève du temps scolaire (et qui est donc pris en charge par l’Education Nationale) et ce qui relève du temps périscolaire (pris en charge pas les communes).
Deux aménagements de la journée d’école sont à l’étude. Option 1 : la classe se terminerait à 15h45, et des activités péri-éducatives seraient organisées de 15h45 à 16h30. Option 2 : ces activités prendraient place durant la pause de midi allongée de trois quarts d’heure (la cloche de l’école sonnant, comme aujourd’hui, à 16h30).
C’est le DASEN (celui qu’on nommait jusqu’à il y a peu « l’inspecteur d’académie ») qui va statuer sur l’ensemble de ces points, sur la base de propositions soit du conseil d’école, soit du maire dans le cadre d’un projet éducatif territorial. Le DASEN doit en outre consulter le Conseil Général, compétent en matière de transport scolaire, sur les projets d’aménagement du temps scolaire ou de modification des horaires d’entrée et sortie des écoles. Si le département ne fait pas connaître son avis dans un délai d’un mois après sa saisine, celui-ci est réputé favorable.
Les dispositions du décret doivent entrer en vigueur à la rentrée scolaire 2013-2014, avec un report possible pour la rentrée 2014-2015. Les maires doivent rendre leur avis avant le 1er avril 2013 (pour une loi qui n’a toujours pas été votée et pour laquelle les contours sont pour le moins très flous) [1].
Ce que ne dit pas le projet de décret et que nous sommes en droit de savoir :
1) Temps de présence des professeurs devant les élèves réduit :
A la rentrée 2008, le temps scolaire obligatoire des élèves est passé de 26h à 24h par semaine, les deux heures en moins étant compensées par l’introduction d’une aide personnalisée pour les élèves en difficulté.
Dans le cadre du projet de réforme actuel, le temps scolaire obligatoire des élèves resterait de 24h, en revanche, le ministre a annoncé que les activités pédagogiques complémentaires qui se substitueraient à l’aide personnalisée comporteraient 36h d’activités sur l’année, soit une heure par semaine. En conséquence, le temps de présence des professeurs devant les élèves passerait de 26h à 25h (le temps hebdomadaire obligatoire des enseignants demeurant à 27h).
En d’autres termes, la suppression d’une heure de présence des professeurs devant une partie des élèves aura une conséquence directe sur les communes puisqu’elle leur fera supporter la totalité du temps périscolaire complémentaire, soit 3h hebdomadaires.
2) Quid des activités périscolaires ?
Légalement, les activités périscolaires développées par les communes resteront facultatives, comme elles le sont actuellement. En effet, un décret ne peut pas prévoir une nouvelle compétence pour les collectivités locales, seule la loi peut le faire en prévoyant une compensation financière, ce qui n’est pas le cas (la compensation prévue par le gouvernement ne s’étale que sur deux années, à condition d’adhérer à la réforme à partir de la rentrée 2013).
Les conditions d’organisation des activités périscolaires devraient donc demeurer les mêmes qu’actuellement :
- soit la collectivité n’a qu’un service de garderie, non soumis aux normes d’encadrement et de qualification des accueils de loisirs (et non éligibles aux aides de la CAF), comme c’est le cas dans notre RPI Llauro-Tordères-Montauriol-Caixas, et dans ce cas, les enfants resteront plus longtemps en garderie (entre 30 et 45 minutes de plus par jour !)
- soit la collectivité poursuit ses activités sous forme d’accueil de loisirs, soumis aux normes par le ministère de la jeunesse et des sports (et ouvrant droit aux prestations de la CAF) et dont la compétence appartient aujourd’hui à la Communauté de Communes des Aspres.
Le premier choix (simple service de garderie comme à l’heure actuelle) est financièrement tenable (même s’il implique une embauche supplémentaire) mais pédagogiquement inintéressant puisque les enfants ne seront que gardés.
Le second choix serait évidemment beaucoup plus pertinent mais implique des moyens que nous n’avons pas et dont nous n’avons de toute façon pas la compétence. Pour ce type d’accueil, le ministère de l’Education Nationale est prêt à tolérer pendant cinq années des allégements des taux d’encadrement : 1 adulte pour 14 enfants de moins de six ans (contre 1 pour 10 actuellement), et 1 adulte pour 18 enfants de six ans et plus (contre 1 pour 14 actuellement). Pour un RPI comme le nôtre, cela représenterait 4 nouvelles embauches au cours des cinq premières années (3 à Llauro et 1 à Tordères) puis, cinq années plus tard, si nous maintenons le même nombre d’élèves, 3 embauches supplémentaires. Tout cela sans aide de l’Etat ! Il est évident que les communes ne pourront pas prendre en charge le coût de ce type d’accueil et qu’elles rogneront sur le reste du budget (sorties, fournitures scolaires, etc.) et / ou demanderont aux parents de mettre la main à la poche.
Le coût supplémentaire engendré par la réforme ne s’élèverait pas à moins de 150 euros par enfant selon les calculs de l’Association des Maires de France. Depuis le début du mandat, les communes de notre RPI ont fait le choix d’investir à hauteur d’un peu plus de 1000€ par enfant et par an, nous passerions alors à 1150€, soit une hausse de 15%. Cela ne se fera pas sans heurts ni difficultés. En effet, l’Etat ne prévoit d’aides compensatoires que pendant deux ans, et à la condition d’appliquer la réforme dès 2013. Les sommes qu’il verserait alors, de façon très ponctuelle, seraient fort loin de la dépense durable engagée par le communes (l’Etat propose 50€ par enfant la première année, et 45€, la seconde année… La troisième année, il ne versera plus rien !)
Les élus de Tordères s’associent donc aux syndicats d’enseignants pour rejeter ce projet de décret, et contestent la méthode choisie pour déterminer l’organisation du temps scolaire. Que les choses soient bien claires : l’Etat a la compétence de l’éducation, qu’il l’exerce pleinement et ne s’en décharge pas sur les communes ! Il est hors de question que nous acceptions de laisser s’installer un système à deux vitesses qui distinguera deux classes d’enfants, ceux auxquels les communes et/ou les parents pourront offrir des activités périscolaires intelligentes et ceux auxquels, faute de moyens, on ne pourra proposer qu’un simple temps de garderie.
Nous réclamons que soit précisé ce qui est pris en charge par l’éducation nationale dans le temps scolaire des enseignants et des élèves et ce qui relève de l’initiative communale dans un temps périscolaire. Nous jugeons aussi que la date du 1er avril, à laquelle sera choisie l’entrée en vigueur de la réforme (rentrée scolaire de 2013 ou de 2014), n’est réaliste que si nous disposons de l’ensemble des informations nécessaires pour nous organiser et pour évaluer le coût des projets éducatifs territoriaux.
Il est évident que cette réforme est nécessaire mais elle ne saurait être bâclée et menée sans concertation. Nous réunirons prochainement les professeurs et les parents d’élèves pour leur exposer notre point de vue et décider avec eux de la suite des événements.
[1] : La réalité juridique est en fait toute autre car la procédure d’avis du département aboutit à une anticipation du délai du 1er avril au 8 février de la date à laquelle les communes devront faire leur choix, ce qui n’est pas acceptable. Le décret doit prévoir que le maire a jusqu’au 1er avril 2013, après saisine et non après avis du département, pour demander le report à 2014. Compte tenu du manque d’éléments concrets dont dispose aujourd’hui les maires, à deux mois de l’échéance du 1er avril, les élus auront du mal à statuer.
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