Cher Guy,

  J’ai bien reçu ton résumé de la visio-réunion avec Mme la Rectrice.

  La réouverture des écoles le 11 mai me paraît prématurée et hasardeuse compte tenu des incertitudes scientifiques qui planent quant à la façon dont se propage l’épidémie et quant au rôle des enfants dans cette propagation. Sur ce sujet, on entend aujourd’hui tout et son contraire (ce matin sur France Inter, deux spécialistes, le professeur Caumes, infectiologue à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, et la professeure Karine Lacombe, infectiologue à l’Hôpital Saint-Antoine, étaient toujours assez divisés sur la question).

  Ce qui m’apparaît comme dangereux c’est que nous allons favoriser des regroupements non seulement d’enfants, mais aussi d’adultes (parents, enseignants, agents de service et d’entretien, chauffeur de bus, etc.). Je sais que le rôle du politique est de prendre tout autant en compte la question sanitaire que la question sociale et de trouver un juste équilibre entre les deux, mais dans ce cas précis, j’aurais tendance à prioriser la question de la santé sur tout le reste.

  Pour la petite école rurale de Tordères qui compte 19 élèves de CE2, CM1 et CM2 et qui participe au RPI Llauro-Tordères-Montauriol-Caixas, voici les difficultés qui ont été listées :

- A ce jour, nous n’avons pas de masques pour équiper les écoliers, l’enseignante, les dames de service et le chauffeur de bus, et nous ignorons quels masques seront les plus adaptés à la situation, comme nous ignorons qui les fournira et qui les paiera ;

- La salle de classe étant de taille modeste, nous n’avons pas la possibilité de laisser un espace d’un mètre ou plus entre les tables si l’ensemble des enfants devaient revenir en classe ;

- Nous ignorons à quelle fréquence la salle et les toilettes devront être nettoyées : si c’est à un rythme de deux à trois fois par jour, avec quels moyens financerons-nous ces heures aux agents ?

- Comment se passeront les récréations et les garderies ? Les enfants devront se tenir loin les uns des autres. Comment les occuper dans ces conditions ?

- La plupart des écoliers prennent le bus pour venir à l’école, comment ferons-nous pour que les gestes barrières y soient respectés ? Le bus n’est pas très grand, comment y respecter la règle de distanciation ? Faudra-t-il demander que soit mis en service un second bus (et par conséquent un second personnel accompagnant) ? Ou devra-t-on se tourner vers les parents pour qu’ils assument eux-mêmes le transport des enfants ?

- Pour ce qui concerne la cantine, la question est tout aussi délicate : en effet, notre service de cantine est assuré par l’ESAT local, actuellement fermé, et qui le restera sans doute encore dans les semaines à venir : comment devrons-nous procéder ? Devrons-nous dédier une salle municipale à ce repas avec un système de pique-nique ? Nous n’avons, à l’heure actuelle qu’une salle polyvalente très petite à mettre à disposition. Nous faudra-t-il mettre en place plusieurs services ?

  Pour ce qui concerne la deuxième école sur Llauro appartenant aussi au RPI, qui accueille deux classes (maternelle 18 enfants + CP et CE1 17 enfants), les mêmes problèmes se posent avec en plus la gestion d’enfants tout juste âgés de 3 ans. Comment leur faire respecter les gestes barrières et les règles de distanciation, surtout après une période de deux mois sans avoir vu leurs camarades ? Il est impensable aussi que le port du masque pendant toute la journée puisse leur être imposé.

  Des parents d’élèves nous interpellent pour savoir s’il sera obligatoire de remettre son enfant à l’école car bon nombre d’entre eux sont encore très circonspects sur ce retour qui leur paraît peu rassurant pour la santé de leur enfant et celle des grands-parents qui en assument souvent la garde après la classe. Ils sont déjà quelques-uns à affirmer qu’ils ne remettraient pas leur enfant en classe cette année et je les comprends aisément. Par ailleurs, si l’école reprend sous forme alternée, les parents s’interrogent sur la façon dont ils vont gérer leurs enfants à domicile et la reprise de leur travail.

  Jusqu’ici, même si ça n’a pas toujours été simple pour des raisons techniques (la fracture numérique existe bel et bien et la connexion internet pour nos commune est parfois très mauvaise), et parce que les parents ne sauraient bien sûr pas se substituer à un enseignant, les écoliers se sont plutôt bien accommodé des consignes envoyées par leur professeur. Aussi, comme une bonne partie de mon conseil et certains parents d’élèves, je m’interroge sur la pertinence de cette rentrée scolaire. Cela vaut-il vraiment la peine, pour moins de deux mois de cours, de mettre en route une « usine à gaz » en termes de moyens à mettre en œuvre et du peu de moyens financiers que les municipalités peuvent mobiliser pour le faire ?

  J’ai lu que des élus membres de l’AMF souhaitaient qu’une motion soit adoptée pour demander que, comme en Espagne, au Portugal, en Grande-Bretagne, etc., les écoles ne soient pas rouvertes, et, à titre personnel (je ne parle pas là au nom de mon conseil municipal), je partage cette position.

  Bien amicalement,

  Maya Lesné, maire de Tordères