Adrienne Cazeilles s’en est allée à pas tranquilles, à 98 ans, dans le bel hiver des Aspres, son petit pays libre et sauvage qu’elle chérissait par-dessus tout, depuis sa plus tendre enfance, et qu’elle défendait sans relâche.
Adrienne
  C’était une vieille amie de notre commune dont elle affectionnait particulièrement les écoliers.
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  C’est à Tordères qu’en avril 2010, elle avait rencontré Danielle Mitterrand, une autre militante de haute lutte avec laquelle elle partageait de nombreuses valeurs et notamment la volonté de défendre l’eau et de ne pas la laisser aux mains des spéculateurs.
Adrienne Danielle et Maya
  Quelle émotion d’assister alors à leurs échanges, de sentir la force et l’enthousiasme qui les animaient, tout ce jaillissement d’intelligence, de poésie et de révolte qui émanaient de leur beau et profond dialogue.
  Tordères n’oubliera jamais cet instant suspendu où se rencontrèrent ces drôles d’oiselles, pleines de grâce et de délicatesse, pleines de gravité et de gaieté, ces éternelles jeunes révoltées, éternelles promeneuses, pourvoyeuses d’humanité et de solidarité, passeuses de rêves et d’espoir.
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  Lors d’un Printemps des Poètes au cours duquel elle nous avait fait l’honneur d’être jury, Adrienne Cazeilles nous avait fait cadeau du poème et de la lettre suivante précieusement affichés dans notre mairie:
  « J’ai beaucoup lu de poètes, j’ai beaucoup récité, et fait réciter de sonnets, odes et odelettes, fables et ballades, et poésies en tous genres, épiques ou rustiques, mais je n’avais jamais écrit de poèmes!
  Celui-ci est venu sous ma plume, à l’aube de mes 88 ans, au lendemain d’une « traversée du désert », il y a une quinzaine de jours. Des amis m’avaient amenée à Cabestany, et pour éviter Perpignan, nous sommes passés par un « no man’s land » à l’abandon, interminable banlieue-terrain-vague – friche ou lande, sillonné à l’infini de voies de communication.
  Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un chef d’œuvre car, sauf les tout premiers vers qui ont coulé presque de source, au cours d’une nuit où réflexion et insomnie se succèdent comme souvent à mon âge, la suite a été très laborieuse.
  Cent fois sur le métier, j’ai remis mon ouvrage (cf Boileau).
  J’ai quand même décidé d’adresser une copie à quelques-uns de mes amis qui y retrouveront l’essentiel de ce que furent les idées-force de ma vie, ceux qui m’ont côtoyée et accompagnée plus ou moins longtemps.
  Mais le temps ne fait rien à l’affaire.
  Dans ce monde troublé (ô combien), il est réconfortant de sentir autour de soi ce réseau de gens qui partagent les mêmes valeurs, de celles qui ne se négocient pas en Bourse !…
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SI, EN ROUSSILLON, TE BALADES,
ELLE EST POUR TOI, CETTE BALLADE…
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Qu’est mon Roussillon devenu ?
Qu’en ma jeunesse parcourus
Sur un vélo humble et fidèle.
Vignes et jardins ont disparu
Au printemps, sans feuilles nouvelles,
Comme si les eut occis la grêle !
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Qu’est mon Roussillon devenu ?
L’œil cherche en vain champs et cultures.
En tous sens y tournent voitures,
De çà, de là, à toute allure…
Mais son chemin aura perdu
Le pauvre voyageur fourbu !
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Qu’est mon Roussillon devenu ?
Enigmatique labyrinthe
De cistes et de térébinthes.
Pourtant, maint jardinier chenu
Y cultiva, pour leurs vertus,
Fruits et légumes, sans contraintes !
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Passant, à route, que veux-tu,
Vois-tu du Canigou les teintes
Quand le soleil est descendu
Sur l’horizon, ou reparu
Au matin, quand la cloche tinte,
Restera-t-il hors des atteintes ?
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Qu’est mon Roussillon devenu… »
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Adrienne Cazeilles,
Le 21 janvier 2011.
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Reposez en paix, chère Adrienne, en pau descansi.